Cécile ou le handicap par intermittence

Publié le 31 Janvier 2016

Texte 7 : Cécile ou le handicap par intermittence

" Travailler dans le handicap " devient rapidement, pour toute personne gravitant autour de ce secteur, une expression assez absurde. Il suffit d'ailleurs de mettre le pied dans un IME pour se rendre compte que le singulier utilisé pour désigner ce secteur est bien loin de la réalité. Les diagnostics sont multiples, de l'enfant avec autisme à son camarade trisomique, du malvoyant à la personne polyhandicapée, et, au delà de ces catégories médicales les profils sont aussi nombreux que les individus...

Cécile, par exemple, était dans le même groupe à l'IME que d'autres jeunes adultes sans pour autant partager avec aucun d'entre eux la cause de ses difficultés. Au contraire même, Elle était de ce point de vue bien singulière car, contrairement aux autres, son " handicap " ne découlait ni de troubles du développement, ni d'un dysfonctionnement prénatal quelconque. Non, son génotype était fonctionnel, ses chromosomes en nombre ordinaire. Son développement avait suivi une trajectoire relativement typique. Bref, Cécile a vécu le début de sa vie sans laisser présager l'apparition de la moindre déficience.

Puis tout s'est cassé la gueule, brutalement. Adolescente, Cécile a subit un traumatisme crânien. Avec le choc, son cerveau a été endommagé et, avec chaque parcelle atteinte, son autonomie a plongé un peu plus. Contrairement aux autres membres de son groupe, elle a basculé d'un coup « dans le handicap », aussi rapidement que son cerveau a cogné contre sa boite crânienne. Il a fallu alors tout réapprendre. Ou du moins ce qu'il était possible de réacquérir et pour cela le chemin est long.

Plusieurs années après son accident, Cécile a alors été scolarisée en IME et donc reconnue comme « handicapée ». Et effectivement, elle n'était par exemple plus capable de suivre la plus simple de recettes de cuisine, ce qui devient vite emmerdant quand on a la vingtaine et que l'on aimerait bien quitter le cocon familial. Sortir en ville seule était aussi devenu d'une complexité extrême et, de manière générale, elle était devenue d'une lenteur marquante dans tous les actes de sa vie quotidienne. On se serait donc tous accordés pour dire que oui, Cécile était en situation de handicap.

Mais d'ailleurs, quelle formule adopter pour désigner cet état ? Faut il dire que Cécile est une handicapée ? Une personne handicapée ? Ou encore une personne en situation de handicap ?

Je lisais il y a peu le premier livre de Josef Schovanec « Je suis à l'Est ». L'auteur y relevait, au détour d'un chapitre, l'importance que prenait le choix des mots pour désigner un individu autiste (ou avec autisme ? Etc...) et que ce débat n'avait que bien peu d'impact sur la vie des personnes concernées. De telles considérations lexicales ont aussi cours autour de la notion de « handicap » et il n'est d'ailleurs pas rare d'entendre un professionnel du médico-social expliquer à un membre de son entourage qu'il ne faut pas utiliser telle ou telle expression.

Ce débat est-il donc stérile, inutile ?

Je ne le pense pas pour autant. Lorsque j'utilise l'expression de " personne en situation de handicap " je ne le fais pas pour éviter de froisser mon employeur en fauteuil roulant. A vrai dire je m'en tape un peu d'ailleurs. Non je le fais parce que cela me semble plus juste pour décrire la réalité. Pour illustrer cela revenons en à Cécile.

Suite à son accident, cette jeune femme a donc perdu un certain nombre de compétences qu'elle avait acquises auparavant. De manière générale elle présentait une déficience intellectuelle et un ralentissement dans la réalisation de nombreuses tâches (il est probable qu'elle souffre comme de nombreux traumatisés crânien d'un syndrome dysexécutif). Et pourtant je maintiens que dire qu'elle était handicapée est imprécis.

En effet, il se trouve qu'à l'époque de mon stage, Cécile était, elle aussi, stagiaire dans une structure très proche de l'IME : un EHPAD (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes). Elle avait proposé à la cadre d'y faire la lecture à certains résidents. Dans ces moments là, Cécile n'était pas en situation de handicap et réalisait cette tâche sans plus de difficultés qu'une bonne part de la population que certains qualifient de « normale ». Le handicap n'est donc pas un trait que Cécile posséderait. Il ne s'agit en aucun cas d'une caractéristique intrinsèque de sa personne mais bien d'un état relatif à certaines situations. Elle est en situation de handicap quand il s'agit de suivre une recette de cuisine mais pas pour lire un recueil de poème à une oreille vénérable.

Cécile n'est donc pas une handicapée, même si, bien sur, le dire n'enlève rien à ses difficultés.

(Si la question vous intéresse je vous conseille vivement le bouquin de P. Fougeyrollas : "La funambule, le fil et la toile")

Rédigé par Axel

Publié dans #Photo de Classe

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