Famille en exil

Publié le 29 Mars 2015

Texte 5 : Famille en exil

Ils sont deux. Assis l'un à côté de l'autre. L'un grandit encore, l'autre commence à perdre un peu de hauteur. Le premier, droit dans ses baskets, le second frêle au triste sourire. Ils sont deux, un fils et son père, dans l'air lourd de crasse d'un Centre d'Hébergement d'Urgence.

Ils viennent d'ailleurs. Un ailleurs à l'Est, un ailleurs à fuir. Ce terrible voyage ne s'est jamais vraiment terminé. Ils sont en France depuis des mois et pourtant ils ne sont jamais vraiment arrivés. Des mois, et toujours pas d'endroit où poser leurs valises.

Le matin, au réveil, ils font leurs sacs puis traversent le couloir pour prendre une douche. L'ado avale un bol de céréales sur la table en aggloméré de la salle de restauration du foyer. Son père fait durer son café. A 9h, eux comme les autres retrouvent la rue. La journée commence, la galère continue.

A partir de là, à chacun son défi.

Le père doit trouver un toit pour la nuit, de quoi manger le midi. A peine sorti il appelle déjà le 115 en espérant que la voix qui grésille hors de la coque en plastique de son portable leur trouvera une place. Tous les 3 jours la peur d'avoir à dormir dans une cage d'escaliers s'ajoute aux autres angoisses. Tous les 3 jours ça recommence à zéro.

Pour le fils, le rideau se lève pour une représentation quotidienne. Il passera la grille du collège en espérant qu'aucun des autres ado ne devinera d'où il vient. Il mettra le pied dans l'établissement comme on met le pied sur les planches d'un terrible théâtre.

Surtout ne pas puer. Si l'odeur du foyer a collé à sa veste, c'est foutu. Oublier la fatigue pour se concentrer. Surnager dans un flot de paroles d'une langue qu'il commence à peine à maîtriser. S'accrocher pour réussir son trimestre, que tous ces efforts et ceux de son père n'aient servis à rien.

(Vous comprenez, être scolarisé et se débrouiller à l'école ça compte pour renouveler un titre de séjour...)

Puis le soir arrivera, le père passera récupérer son enfant avant d'attraper un bus pour l'un ou l'autre des foyers dans lesquels on aura pu leur trouver une place. Son garçon s’assiéra alors dans la salle commune pour faire ses devoirs tandis que des afghans guetteront des nouvelles du pays devant le 20h de TF1. Pendant ce temps là, il passera au bureau des travailleurs sociaux pour qu'on lui attribue une chambre. Il restera poli, reconnaissant même. Pourtant, le stagiaire qu'il aura en face de lui se sentira comme une merde en pensant que, le lendemain matin, il faudra les rendre au froid de l'asphalte.

Rédigé par Axel

Publié dans #Vue Sur Rue

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